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Quand un auteur propose deux textes pour le recueil de nouvelles USA DREAM et qu'il faut en choisir un, autant vous faire profiter de celui qui n'a pas été retenu, non ? Alors, avec son accord, voici une nouvelle inédite signée Virginie Singeot-Fabre pour vous faire patienter jusqu'à la sortie du recueil !

Changement de cap

An de grâce 1492. Les rois Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon décident de financer l’expédition de Christophe Colomb. Son projet fou de rejoindre les Indes par l’ouest a déjà essuyé plusieurs refus. Il a pourtant étudié les écrits grecs qui prouvent que la Terre est bien ronde. Et puis, il faut bien remplacer la fastidieuse route des épices inaugurée par Marco Polo deux siècles auparavant mais impossible d’accès depuis la prise de Constantinople une quarantaine d’années plus tôt…

A bord de la Pinta, le navigateur largue les amarres en compagnie de son fidèle équipage, habitué aux imprévus et aux tempêtes violentes. Guidé par les portulans, les premières cartes marines, il rejoint les Canaries avant d’entreprendre un long périple par l’ouest qui le mènera vers certaines îles d’Amérique, bien loin de son projet initial…

Ce que l’histoire ne précise pas, c’est qu’un rival de notre héros, Bartolomeu Dias, a saboté ses plans. Fier d’avoir découvert une nouvelle route vers les Indes par le Cap de Bonne Espérance, il pressent que Christophe Colomb va lui arracher la vedette et décide de modifier ses cartes de navigation. Sans son intervention, l’image de notre monde aurait pu prendre une autre tournure…

Laissons notre imagination refaire l’Histoire : cloué au lit à cause d’une vilaine grippe, Bartolomeu échoue dans ses plans et laisse Christophe Colomb rejoindre les Indes par l’occident et lui voler, au passage, la vedette.

New Delhi, 2016.

Assis derrière son bureau rectangulaire, Marco Barma, premier président caucasien ayant accédé au pouvoir et symbole d’une ouverture après des années d’apartheid anti-blanc, s’inquiète. Bientôt, il lui faudra quitter cette maison jaune qu’il chérit tant car les élections approchent. Pour lui succéder, Aheli Clinti, Indienne d’âge mûr dont le mari a par le passé accédé aux plus hautes fonctions de l’état, ou Drupad Trimp, qui compte ses roupies par milliards et dont les aspirations sont davantage esthétiques qu’éthiques. Les scores restent serrés malgré des discours différents et les urnes trancheront dans quelques mois. La communauté internationale s’inquiète du sort que pourraient subir certains après l’un ou l’autre vote. Marco a accordé sa confiance à Aheli, même si, par le passé, leurs avis ont parfois divergé. Heureusement, le statut de femme de cette prétendante au poste lui confère une sacrée avance sur son adversaire.

Ce bureau rectangulaire représente le centre absolu du pouvoir mondial, et nul n’ira jamais le contester. Depuis son siège, Marco Barma envoie à l’O.T.I.E – l’Organisation du Traité Indo-Européen -  ses directives : bombarder les états d’Amérique du Sud, déjà à feu et à sang, puis récupérer les richesses abandonnées. Peu importent les civils, ce sont des dommages collatéraux que les guerres ne peuvent éviter. Et puis, ce sont des anonymes. Qui ira les pleurer et entretenir leur mémoire ? Depuis l’octogone, siège des armées indiennes, les soldats sont inquiets mais obéissent au chef militaire, tout comme la plupart des pays indo-européens qui ont ratifié le traité et suivent la voix du plus puissant sans rechigner. Depuis des années, les avions, hélicoptères, drones et autres objets volants tentent de contraindre à la paix par le feu. Nul ne sait quand ils parviendront à leur objectif.

L’Histoire, les échecs du passé n’ont pas changé la politique du pays. Non loin de là gisent encore les décombres des Sacred Cows Centers, deux immenses gratte-ciel détruits par la barbarie humaine, une quinzaine d’années plus tôt. Preuve que l’entente universelle est loin d’être acquise... mais la souhaite-t-on vraiment au pays d’oncle Samrat, comme partout ailleurs ? « Si vis pacem para bellum », mais de quelle paix parle-t-on ?  La chaleur persistante de la cendre agrippe encore l’épiderme et l’odorat des touristes venus en masse entretenir le souvenir de milliers de vies brisées. Les Indiens se sont relevés de ce terrible événement en érigeant le mémorial du First floor en hommage aux victimes.

Pourtant, New Delhi demeure l’une des villes les plus fréquentées par les voyageurs venus de tous horizons admirer ses tours, son énorme parc, sa statue de la Fraternité, ses spectacles réputés... D’allure cosmopolite, elle contraste avec son passé hostile aux indigènes venus d’Europe par millions, prêts à sacrifier leur vie pour un avenir meilleur. Ceux-ci ont dû, un siècle plus tôt, traverser le Gange à la nage, dans des embarcations périlleuses, afin d’obtenir le sésame qui transformerait leur vie misérable du fond des bidonvilles français, allemands ou suédois. Ce rêve indien, nombreux y ont aspiré, et finalement bien peu l’ont vécu. Il reste cependant l’image de la réussite aux quatre coins de la planète. 

A l’extrémité ouest du pays, près de Bombay, Bollywood représente la fine fleur du cinéma mondial. Les plus gros succès planétaires ont pris vie dans les énormes studios de la ville. D’ailleurs, à des milliers de kilomètres de là, les Américains ont voulu copier la superpuissance indienne en aménageant des studios de fortune qui sortent quelques succès d’estime, Outre-Atlantique, mais personne ici ne les a jamais visionnés car les salles de cinéma ne programment que des blockbusters.

Pendant ce temps, de l’autre côté du monde, au nord de l’Amérique, vivent paisiblement les communautés américaines de Sioux, Apaches, Cheyennes ou Iroquois. Ils se partagent en harmonie le territoire et vivent modestement de leurs cultures et de leurs constructions de fortune. Ils se protègent avec soin du reste du monde et entretiennent leurs merveilleux sites protégés. L’accès au pays ne se pratique qu’en bateau et chaque visiteur doit réussir son test éthique avant d’amarrer. Ici, interdiction de pénétrer avec des produits illicites : produits transformés, graisses saturées, sucres raffinés, matières plastiques et autres dérivés du pétrole, canettes, détritus… Ici, pas de télévision, pas de téléphone, pas de connexion Internet : un cauchemar pour le reste du monde ! Seuls quelques téméraires tentent le voyage en immersion complète, les autres rebroussent chemin et reprennent leur bateau jusqu’à la prochaine escale. Ainsi, les Américains éloignent tous ceux qui pourraient troubler leur quiétude…

Retour dans la vraie vie, courant 2016. Cette vision apocalyptique du monde n’est en réalité que le fruit de l’imagination d’un auteur en mal d’inspiration… Heureusement, Christophe Colomb a suivi sa route et le monde a depuis pris un profil bien différent... 

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